CENTRAFRIQUE : Les religions et les grandes crises de 2002-2003, 2012-2014. Première partie: l’animisme et la Chrétienté.

30 octobre 2014

CENTRAFRIQUE : Les religions et les grandes crises de 2002-2003, 2012-2014. Première partie: l’animisme et la Chrétienté.

Les auteurs de la grande crise centrafricaine de 2012 à 2014 se justifient en fournissant, entre autres, des raisons d’ordre religieux. D’autre part, au début et tout au long de la crise la Séléka composée à plus de 90% de musulmans s’en est pris violemment aux centrafricains non musulmans uniquement. En réaction les victimes discernent une agression musulmane et s’attaquent à leur tour à cette communauté. Dans la confusion la plupart des gens y ont vu une guerre de religion. Pour comprendre cette situation il conviendrait de faire un recul dans le passé religieux de ce pays et examiner les principales religions qui sont : l’animisme, la Chrétienté et l’Islam. Dans cet article nous examinerons l’animisme et la chrétienté.

L’animisme : les ancêtres des centrafricains adoraient de nombreuses divinités. Pour cela les colonisateurs les avaient qualifiés d’animistes. Leurs croyances étaient fondées sur le dogme de l’immortalité de l’âme et le culte des ancêtres. L’auteur Birago Diop a bien résumé la croyance populaire de l’époque, qui est la même en Afrique et chez presque tous les peuples du monde, en écrivant : « les morts ne sont pas morts ». Ils sont partout dans ce qui nous entoure et sont à l’origine des malheurs et du bonheur des vivants qui doivent continuellement rechercher leur faveur.
A défaut de voir ces divinités, les adorateurs les représentaient sous forme de figurines taillées et placées dans des lieux sacrés de leur résidence que sont les forêts, les grottes, les montagnes, les arbres, les cours d’eau. Il était courant en se promenant dans la campagne de trouver des représentations des dieux, des poteaux sacrés, des marmites contenant de la nourriture offerte aux dieux. Dans ce cas il faut passer outre, jeter le regard ailleurs pour ne pas s’attirer la colère des dieux et des malheurs.
L’animisme a été ensuite combattu par la chrétienté. Il est aujourd’hui réduit à seulement quelques îlots de pratiquants irréductibles représentant environ 5% de la population.

La Chrétienté : Les religions étrangères s’étaient rapidement répandues, notamment le catholicisme et le protestantisme, qui s’étaient imposées aux oubanguiens comme étant les seules vraies façons d’adorer Dieu. Ces branches religieuses de la colonisation, précédaient les administrateurs coloniaux et préparaient les populations à être pacifiques, dociles, à accepter la domination française et à « être soumises à leurs maîtres ». Ce faisant, « leurs récompenses seraient grandes dans les cieux », leur avait-on souvent rabâché.

Les prêtres catholiques étaient les premiers religieux de la chrétienté à fouler le territoire de l’Oubangui Chari en avril 1894 , d‘abord comme aumôniers militaires dans l’armée française, puis comme chefs religieux.
Les missionnaires américains protestants de l’église évangélique des frères n’étaient arrivés que plus tard en 1921 aider la France à la pacification des régions encore hostiles à sa domination : Il s’agissait pour la France de trouver une solution à la dernière résistance á la pénétration coloniale dans l’Ouham Pendé ,

Le catholicisme avait précédé l’administration coloniale et les commerçants européens et prodiguait des conseils flatteurs afin d’extirper l’esprit de révolte des noirs. Les prêtres étaient des agents de renseignements à travers la pratique religieuse appelée « confession des péchés ». C’était un outil au service des colons pour obtenir des renseignements sûrs . Les missionnaires américains de l’Eglise Evangélique des Frères et les prêtres catholiques ont convaincu une bonne partie de la population autochtone à rejeter et à détruire leurs idoles, fétiches et pouvoirs guerriers surnaturels, afin d’avoir l’approbation et la protection toute puissante du « vrai » Dieu. Les musiques traditionnelles étaient remplacées par les cantiques religieux de la chrétienté. Certaines fêtes et manifestations joyeuses traditionnelles ont disparu au profit des fêtes dites chrétiennes. Des prénoms tels que André, Pierre, Jean étaient ajoutés aux noms des chrétiens indigènes nouvellement convertis.

D’autres formations religieuses à connotation chrétienne ont ensuite afflué en grand nombre après la colonisation. La chrétienté dans son ensemble représenterait environ 80% de la population totale du pays.

L’islam serait apparu sur le territoire de la République Centrafricaine vers le 17ème siècle de notre ère. D’après l’histoire par la tradition orale, des musulmans Foulatah, Haoussa, arabo-berbères, Bornou en provenance du Cameroun, du Nigeria et au-delà, faisaient fréquemment des razzias, lançaient des attaques contre des villages du Nord-Ouest centrafricains pour piller, capturer des esclaves, emporter femmes et enfants qu’ils adoptaient, épousaient, réduisaient à l’esclavage et convertissaient à l’islam.
Dans le même temps au Nord-Est, un puissant guerrier musulman du nom de Rabah, en provenance du Soudan, à la tête d’une troupe de nombreux guerriers musulmans, multi ethniques, armés jusqu’aux dents et montés sur des chevaux lançaient des incursions militaires contre des villages et les occupaient. Arrivée à N’délé le chef ayant fui devant la progression de sa troupe, Rabah n’aurait trouvé dans le village qu’un commerçant musulman ambulant du nom de Sinossi, venu de la Région de Baguirmi au Tchad et l’aurait investi sultan de N’délé. D’autres sources rapportent que Sinossi serait le neveu de Rabah. Ce dernier lui aurait remis une forte somme d’argent, une importante quantité d’armes et des hommes pour l’aider à asseoir son règne et islamiser les autochtones du nord-est centrafricain.

L’histoire moderne des musulmans en Centrafrique remonte à l’époque coloniale. Originaires de plusieurs pays ils se sont installés progressivement en République Centrafricaine depuis plusieurs décennies. Des éleveurs Peul de confession musulmane étaient arrivés en République Centrafricaine et précisément dans la sous-préfecture de Bocaranga en 1921. Ils y avaient introduit l’élevage de bovins. Les éleveurs Peul ont été rejoints plus tard par les éleveurs arabes nomades transhumants tchadiens et soudanais qui pratiquaient également le gros élevage. Les bonnes conditions d’élevage, la faible densité de la population, et la bonne politique d’accueil des éleveurs migrants, transhumants et nomades ont favorisé le développement rapide de l’élevage du gros bétail en RCA.
Parallèlement des musulmans originaires de divers pays et exerçant le commerce, avaient afflué progressivement vers la République Centrafricaine. Ces dernières années ils y avaient afflué plus massivement, les portes leur étant grandement ouvertes, car le pays était un terrain favorable à leurs activités préférées de commerce, d’élevage, d’exploitation et de trafic de pierres précieuses.

Dans les années 60 les musulmans étaient peu nombreux, basés en ville, mais très actifs en milieu rural où ils pratiquaient le commerce ambulant derrière les équipes d’achat de coton, de village en village. Les plus fortunés transportaient leurs marchandises sur des bicyclettes : des étoffes pour femmes étaient installées sur le guidon jusqu’à une hauteur qui laisse à peine la possibilité au cycliste de regarder devant lui. Des vêtements usagés et divers articles sont emballés et attachées sur le porte bagage arrière faisant un chargement qui dépasse la tête du cycliste.

A leur arrivée progressive en Centrafrique, ils étaient très pauvres, totalement démunis. Ils transportaient sur leur tête le peu de marchandises dont ils disposaient et se déplaçaient à pied de village en village. D’autres exerçaient le métier de marabout et proposaient des remèdes à toutes sortes de maladies et d’énigmes. Ils sont sollicités pour la guérison des malades ou pour connaître les causes cachées de certains problèmes sociaux qui se posaient aux individus et aux communautés, ainsi que pour jeter ou enlever le mauvais sort.
Jusqu’à un passé récent les musulmans refusaient d’inscrire leurs enfants à l’école française. Même sous la pression des autorités locales, compte tenu du caractère obligatoire de la scolarisation des enfants, rares étaient les parents musulmans qui laissaient leurs enfants franchir le cap du primaire pour entrer au secondaire. Ils privilégiaient l’école coranique et initiaient leurs enfants au commerce.

Ils se distinguaient très nettement de la population autochtone par leur façon de s’habiller toujours en longue robe blanche appelée Djélabia, en arabe et leur manière de se coiffer en chéchia blanc. Ils sont également caractériser par le port obligatoire de couteaux attachés au coude et à la ceinture, armes blanches qu’ils n’hésitaient pas à en faire usage aux moindres désaccords. Ils portaient des chapelets de gris-gris au bras et à la hanche.

Les centrafricains de cette époque étaient des taquins et des moqueurs. Ils avaient l’habitude de sous-estimer, d’éprouver et de brimer les nouveaux venus dans leurs communautés. Par exemple un villageois en ville ou un élève muté dans un nouvel établissement scolaire doit endurer les railleries et les brimades des vétérans de cet établissement. C’est selon cette tradition que des surnoms étaient attribués sarcastiquement aux musulmans : « arabo » et « grand boubou » à cause de la langue arabe que la plupart parlaient et de leur habillement invariablement en robe longue, «Djélabia ». Il suffit d’être persévérant pour faire ce premier pas difficile en peu de temps et s’intégrer au milieu. Certains ne supportaient pas ces traitements et n’hésitaient pas à poursuivre les moqueurs, généralement des enfants, le couteau dégainé et brandi, prêt à un usage certain s’ils parvenaient à rattraper les fuyards. Pour cela on assimilait les musulmans à la criminalité facile et l’on s’en méfiait. Bon nombre de musulmans avaient surmonté cette épreuve et étaient devenus des chefs de villages, des maires de communes et de grands commerçants importateurs et exportateurs très respectés de la place. La communauté musulmane représente environ 10% de la population totale du pays.

D’autres groupes religieux : A côté de ces deux grandes tendances religieuses, la Chrétienté et l’Islam, il existe d’autres groupes religieux tels que les Témoins de Jéhovah, la Foie Bahaïe, le Vaudou, etc., qui représentent dans leur ensemble 5% de la population totale.

Jusqu’à la crise de 2002-2003 il n’a pas été noté de problème inter communautés religieuses en Centrafrique. Sauf les Témoins de Jéhovah, qui à leur début, étaient victimes de préjugés et de persécutions religieuses de la part de la majeure partie de la population. Le gouvernement a même interdit deux fois de suite leurs activités. Depuis bien longtemps, les choses sont entrées dans l’ordre et toute la population jouit d’une liberté de religion de sorte que les différentes communautés vivaient ensemble en harmonie.

Après le coup d’Etat du 15 Mars 2003, avec l’aide de combattants Tchadiens et Soudanais, « les Arabo » ont commencé à se démarquer «des Congo ». En effet jusqu’alors, les musulmans étaient appelés « les Arabo » et les non musulmans étaient appelés « les Congo ». Les notions : « Chrétiens » et « musulmans » étaient inconnues de la majeure partie des Centrafricains. La division du peuple centrafricain en deux groupes religieux opposés « Chrétiens » et « musulmans » est clairement apparue très récemment avec l’aventure des Séléka. Cette innovation sélékiste ne reflète pas la réalité centrafricaine. C’est un produit étranger qui provient de la dangereuse rivalité internationale entre l’Islam et la Chrétienté assimilée à la civilisation occidentale. Des Centrafricains aveuglés par le profit et manipulés de l’extérieur, ont importé dangereusement ce gros problème dans leur pays déjà vulnérable et aux prises avec de nombreuses difficultés.

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