L’innocence : une bombe à retardement

7 novembre 2014

L’innocence : une bombe à retardement

Les enfants de Boy rabbe jouent dans les rues du quartier avec leurs kalashnikovs en bois_0

Enfant, j’avais très peur de me battre et j’évitais, autant que faire se peut, la bagarre. Provoqué à l’excès, j’évitais l’affrontement, car dans mon état normal je m’estimais toujours plus faible que des adversaires même plus petits que moi. Lorsque les provocations injustes persistaient et devenaient insupportables, la colère me montait soudainement au nez, me serra la gorge, me fit sortir hors de moi et m’investit d’une puissance qui dépasse la force normale. Alors je fonçai sur mes provocateurs persistants et les mis hors d’état de nuire en un instant, sans savoir comment cela s’était produit et d’où la force m’était venue.
Certaines personnes partagent avec moi ce caractère et ont fait la même expérience. Ce phénomène que j’avais vécu à plusieurs reprises pendant l’enfance me sert aujourd’hui pour comprendre des faits similaires et extraordinaires qui se produisent sur une plus grande échelle autour de moi, en République centrafricaine, au cours de ces dernières années. Il s’agit de deux antagonismes :
– Les Zaraguina (Mot d’origine arabe emprunté par les langues locales de la République centrafricaine pour désigner les coupeurs de route ou bandits de grand chemin) face aux antizaraguina ou groupes d’autodéfense villageoise contre les attaques des Zaraguina.
– Les Seleka (Mot en langue nationale qui signifie mariage ou alliance. Il désigne la coalition des rebellions armées qui a renversé le pouvoir du président François Bozizé le 24 mars 2013) face aux anti-balaka (forme contractée de Anti-balle AK ou combattants invulnérables aux balles des fusils de l’ennemi, avec des méthodes traditionnelles symbolisées par la machette).

Les Zaraguina contre les antizaraguina :

Au cours des décennies 1980 à 2010 des bandits armés appelés localement Zaraguina avaient sévi et semé une grande terreur dans les campagnes de la République centrafricaine. Le phénomène zaraguina a fait son apparition dans ce pays vers le milieu de la décennie 1980. Il s’était intensifié d’année en année pour atteindre son paroxysme au cours des années 2002 à 2009, sous le régime du président Bozizé qui a ouvert la porte aux mercenaires tchadiens.
Le régime du président Patassé avait mené une lutte sans merci contre les coupeurs de route et a maintenu le phénomène à un niveau relativement bas. Après lui il y a eu recrudescence sans que personne ne vienne au secours des villageois sans défense. On croyait le sort des populations rurales scellé et qu’elles étaient ainsi vouées à l’extermination par les Zaraguina.
Alors les provocations injustices et gratuites accumulées pendant des années par ces « laissés pour compte » firent monter leur colère, les firent sortir hors d’eux-mêmes et les investirent d’une puissance qui inversa le rapport des forces. En représailles avec seulement des armes blanches et des armes de chasse de fabrication locale associées aux méthodes ancestrales de guerre, les villageois avaient anéanti tous les bandits armés et les avaient boutés hors de leur territoire. La grande base des coupeurs de route installée à Bilakéré dans la Préfecture de l’Ouham-Pendé a été détruite en un rien de temps en 2009.

Les armes lourdes, les Kalachnikov, les roquettes, les pistolets mitrailleurs, les chapelets de gris-gris et de minutions qui s’entrecroisaient et s’entremêlaient autour des cous, des bras, des ceintures et le long du buste de ces bandits de grand chemin ne leur servaient à rien devant les villageois débordés de colère et déchaînés, armés seulement de machettes, de gourdins, de flèches et de fusils de chasse de fabrication artisanale. Seules les jambes rapides de certains de ces malfrats leur avaient permis de s’échapper. Nombreux sont ceux qui avaient été massacrés. C’est alors qu’on saura à la grande surprise des populations que certains coupeurs de routes ou les commanditaires étaient des voisins de la même cité, du même village, oui de commerçants musulmans déguisés, des propriétaires de boutiques.

Seleka face aux anti-balaka :

Après cette vaste opération de neutralisation des coupeurs de route ou Zaraguina par les groupes d’autodéfense villageoises ou anti-Zaraguina, a suivi une période d’accalmie de trois ans environ, de 2009 à 2011, au cours de laquelle il n’a pas été enregistré de détonation d’arme de coupeurs de route dans les campagnes paisibles de l’Ouham-Pendé et de l’Ouham, notamment. Les populations avaient alors enterré leur « hache de guerre », s’étaient remises au travail et vaquaient paisiblement à leurs occupations champêtres, d’extraction d’or, de petit commerce, de transport en motos et de collecte des produits agricoles. Les plaies commençaient à se cicatriser et on tendait à tourner cette page sombre de l’histoire.

Puis, des échos de bruits de bottes parvenaient des localités lointaines du pays. Ces bruits étaient causés par les hommes du rebelle ougandais Joseph Kony qui occupaient une partie du Congo démocratique, du Soudan et l’extrême Nord-Est de la République centrafricaine. Il y avait aussi diverses rébellions centrafricaines qui avaient infesté le Nord et le Nord-Est. Ces rébellions s’étaient ensuite coalisées pour faire un front unique. La coalition avait pris la dénomination de Seleka.
Les populations du Nord-Ouest centrafricain se disaient que cette nouvelle rébellion était très éloignée d’eux. Elles sont très à l’écart du chemin qu’emprunteraient les rebelles pour atteindre Bangui, afin de renverser le régime et prendre le pouvoir par la force. Elles ne s’inquiétaient pas pour des éventuels dégâts collatéraux.
Très rapidement les villes de province du Nord et du Centre sur le parcours des rebelles tombaient les unes après les autres entre leurs mains, sans résistance aucune. Malgré cela, Seleka semait la mort et la désolation, pour rien, au sein des communautés non musulmanes tout au long jusqu’à Bangui. La Seleka a pris le pouvoir sans réellement combattre. L’objectif revendiqué à cor et à cri étant atteint, le peuple en était soulagé et attendait que les victorieux réalisent leurs promesses de rétablissement rapide de la sécurité sur tout le territoire, de bonne gouvernance et de reconstruction du pays. Malheureusement la coalition montrera au grand jour et à la très grande stupéfaction du peuple centrafricain et de l’opinion internationale qu’elle a d’autres objectifs inavoués contraires.
Ainsi, comme de gros nuages noirs de criquets pèlerins qui s’abattent sur une vaste région et détruisent toute la végétation, ils avaient investi toute la République centrafricaine sans épargner la moindre parcelle du territoire. Ils avaient excellé, de façon ostentatoire, dans toutes les formes de violation des droits de l’homme, avec une intensité inqualifiable, dans le but de détruire numériquement, physiquement, économiquement et matériellement les communautés non musulmanes et de les asservir. Les populations avaient ainsi subi des massacres, des occupations forcées de leurs habitations privées, des pillages, des brimades et des traitements esclavagistes d’un bout à l’autre du pays, pendant de longs mois, et criaient sans arrêt au secours vers le pouvoir central à Bangui, sans suite, et vers la communauté internationale inerte.

Face à toutes ces provocations et exactions; des jeunes issus des communautés rurales qui avaient tout perdu (familles massacrées ainsi que biens et argent pillés, maisons et réserves de nourriture incendiées par la  Seleka, champs dévastés par les troupeaux de bœufs des éleveurs nomades tchadiens), avaient juré au nom de tous les leurs massacrés  et au nom de leurs ancêtres  de bouter toutes ces hordes de sanguinaires et leurs complices hors de la République centrafricaine.
L’excès de colère, la croyance au soutien des ancêtres décédés, doublé du sentiment d’innocence et de la légitimité de leur croisade contre leurs provocateurs pervers, confèrent aux jeunes révoltés une force qui défie tous les arsenaux de guerre de l’armée centrafricaine et de la Misca tchadienne utilisés par Seleka et les Tchadiens de la Misca, contre eux. Spontanément dans toutes les localités du pays, des groupes coalisés d’autodéfense et de lutte contre la Seleka au moyen d’armes blanches et des méthodes ancestrales de résistance aux razzias des Arabo-Berbères mercantiles, se sont constitués. Ils ont donné à leur mouvement la dénomination d’anti-balle AK couramment appelé anti-balaka.
Les anti-balaka avaient commencé par attaquer et massacrer les membres de la Seleka dans les différentes localités à travers le pays. Après ces opérations militaires éclairs, les anti -balaka retournaient à leur base en brousse avant que n’arrivent les renforts des Seleka en représailles maladroites et disproportionnées : massacres dans les communautés non musulmanes de femmes, hommes et enfants innocents, incendies des villages. Ces situations chaotiques causées par la Seleka dans les villages augmentent au maximum la colère des anti-balaka qui s’en prennent à leur tour aux communautés civiles musulmanes, créant ainsi un cycle infernal de violence : anti-balaka contre Seleka, Seleka contre les non-musulmans et anti-balaka contre les musulmans. Les anti-balaka avaient continué sans relâche à harceler les Seleka simultanément en divers lieux où se trouvaient leurs bases.

La Seleka à sa prise de pouvoir avait annoncé la fin définitive de la rébellion en Centrafrique et croyait ainsi jouir seule et pour toujours du monopole de la puissance et de la violence. Elle s’estimait infiniment supérieure et largement en mesure d’écraser toute résistance que toute entité, voire toute la population civile non musulmane pourrait tenter de lui opposer en réaction aux exactions subies. Elle se croyait tout permis, mais se trompait lourdement en sous -estimant la force invisible et invincible des populations rurales centrafricaines déchaînées. Elle ne s’attendait pas du tout à un soulèvement de grande envergure des jeunes Centrafricains révoltés, ceux-là mêmes qui étaient longtemps considérés comme des femmes, des lâches par leurs voisins tchadiens.
Quelle surprise pour les Seleka de se retrouver subitement et simultanément en face de nombreux fronts d’anti-balaka irréductibles, fermement décidés à les neutraliser et à les bouter hors de la République Centrafricaine, coûte que coûte ! Les Seleka ont beau déployer toutes leurs compétences militaires de guerriers invincibles du désert et un arsenal militaire effrayant contre les populations civiles centrafricaines non musulmanes, les anti-balaka ont continué irrésistiblement leur marche vers Bangui, la capitale, pour s’en prendre au mal par la racine.
Finalement ces jeunes ruraux ont convergé vers Bangui, parcourant à pied des distances de plus de 300 kilomètres pour la plupart, ont assiégé la capitale le 5 décembre 2013 et multiplié des attaques contre la Seleka, la Miscatchadienne et les intérêts des communautés musulmanes. Ils ont été rejoints à Bangui par les jeunes Banguissois et certains militaires de la Faca qui avaient été rejetés, pourchassés et massacrés par le nouveau régime de Bangui. De son côté la Seleka, la Misca tchadienne et la population civile musulmane, toutes détentrices d’armes de guerre, commettaient de multiples exactions sur les populations civiles non musulmanes. Ces dernières furent contraintes de quitter leur domicile pour se réfugier dans des « Ledger» (Nom de l’Hôtel 500 chambres qui a fait office de Présidence de la République et résidence du chef de l’Etat de transition, Monsieur Ndotodjia et ses proches, dès la prise de pouvoir par Seleka. Les dignitaires du régime y avaient également trouvé refuge pendant le règne sanguinaire de Seleka. Ce nom a ensuite été utilisé par les Banguissois pour désigner ironiquement les différents lieux de refuge que sont les paroisses, les monastères, les églises et les mosquées).
L’escalade de la violence avait finalement dépassé un seuil pour lequel l’inaction de la communauté internationale pourrait être considérée comme « non-assistance aux communautés en danger d’extermination ». Cette dernière, sous l’impulsion de la France, fut obligée d’intervenir pour l’interposition entre les deux camps et le désarmement des belligérants.
Le mercredi 25 décembre 2013, au cours de la bataille décisive de Gobongo, les anti-balaka avaient réussi à ébranler le tout puissant pouvoir de Seleka jusqu’à sa base, en calcinant deux véhicules de combat équipés d’armes lourdes et un char blindé de l’armée tchadienne, faisant de nombreuses victimes Seleka et tchadiennes de la Misca. C’est alors que Seleka a retrouvé la raison et s’est aperçue que le dieu de la guerre l’avait quittée depuis longtemps, pour se mettre du côté des humbles et paisibles paysans centrafricains provoqués et nargués à l’excès, les anti-balaka.
Dans les us et coutumes des sociétés traditionnelles centrafricaines, le respect du droit d’aînesse est un principe fondamental. Aussi, la terre appartient aux premiers occupants. Les nouveaux venus doivent du respect et de la reconnaissance aux autochtones qui les avaient accueillis et leur avaient cédé une parcelle de leur propre territoire pour s’installer. Conspirer contre ses bienfaiteurs pour les dominer et les écraser sur leur territoire par la force, est un insensé étalage ostentatoire d’ingratitude et une entreprise diabolique vouée d’avance à l’échec.

Aussi, le droit de la guerre dans les sociétés traditionnelles interdit de s’asseoir sur un adversaire qu’on a terrassé pour continuer à lui asséner des coups. L’adversaire ainsi vaincu et désarmé a l’obligation de reconnaître sa défaite et la supériorité du vainqueur. Alors, les deux belligérants peuvent s’accorder sur un pacte de non-agression et continuer de vivre ensemble en amis, prêts à se porter secours mutuellement en cas d’agression extérieure de l’un ou de l’autre. Malheureusement, les choses sont différentes dans l’autre camp, celui des Seleka, où la culture est de ne jamais s’avouer vaincu et de combattre jusqu’au dernier souffle du dernier combattant. Ceci complique évidemment le règlement de cette crise qui risque de durer longtemps, inutilement.
Il était inévitable que les deux parties centrafricaine et tchadienne s’affrontent et comparent leurs forces avant de se respecter et vivre ensemble en paix, vu les comportements très provocateurs, arrogants, violents et extrêmement agressifs de la communauté tchadienne en Centrafrique depuis l’année 2003. Maintenant que c’est chose faite, il serait possible, selon les traditions centrafricaines, de tourner la page de la rivalité et de continuer ensemble, dans le respect mutuel, prêt à s’unir pour combattre leur ennemi commun, chacun reconnaissant sa place et la place de l’autre dans cette société centrafricaine.

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